Publier un article en sciences sociales

Séminaire des doctorant·es
Le 06/03/2025, le séminaire des doctorant·es du Centre de recherche et de documentation sur les Amériques (CREDA-UMR 7227) a reçu Olivier Compagnon pour une présentation sur le thème de la publication en sciences sociales. Olivier Compagnon est professeur d’histoire contemporaine à l’Université Sorbonne Nouvelle (Institut des hautes études de l’Amérique latine – IHEAL) et membre du CREDA. Il est également co-rédacteur en chef de la revue Cahiers des Amériques latines, revue référencée dans de nombreux index d’évaluation scientifique : HCERES, Erih, Latindex, DOAJ, Hapi, etc.
Cet article est une restitution de l’exposé d’Olivier Compagnon, afin de le rendre accesible à tou·tes les jeunes chercheur·euses qui souhaitent commencer à publier.
Pourquoi publier ?
En tant que chercheur·euse, la publication remplit principalement trois fonctions :
- Construire un CV et “faire carrière” : il faut être conscient·e et prendre en compte la réalité du marché actuel de l’ESR. Face à la forte compétitivité pour les candidatures pour trouver des postes dans les universités, la question du nombre et de la qualité des publications des candidat;es a un poids non négligeable pour votre candidature

- Partager ses conclusions et les faire discuter : participer aux discussions et aux échanges qui permettent une construction collective des savoirs
- Défendre et disséminer les savoirs scientifiques à l’heure de la post-vérité: nouvel enjeu émergent de la publication, à l’heure où la recherche et les sciences sociales sont de plus en plus remises en question par les pouvoirs et idéologies politiques
Où publier ?
Au moment de choisir où publier, deux grands enjeux sont à prendre en compte et sont parfois incompatibles:
- faire le choix d’une “bonne revue”, réputée et reconnue
- prendre en compte la possibilité d’être lu, discuté, cité ect.
Il existe différents types de revues : disciplinaire, études aréales, thématiques… Il faut donc choisir dans quel type vous souhaitez publier, selon le sujet et la portée de votre article, la communauté scientifique dans laquelle vous souhaitez vous insérer par la suite (c’est-à-dire être lu et discuté), la langue dans laquelle vous souhaitez publier, etc. De même, il vaut mieux parfois publier un article dans une excellente revue que plusieurs articles dans des revues peu reconnues par la communauté scientifique.
Il existe ensuite deux systèmes distincts de fonctionnement économique pour les revues, qui ont également un impact considérable sur la portée de votre publication : Auteur-payeur ou Open Science.
- Auteur-payeur: vous payez pour publier et le lectorat paie pour avoir accès aux publications. Système fréquent aux USA, déconseillé en France par le CNRS.
- pose le problème de l’intégrité scientifique: des articles ne sont parfois pas suffisament scientifiques mais sont publiés parce que les auteurs paient
- pose le problème de l’accès : les revues et les livres sont de plus en plus chères pour les universités et bibliothèques, donc de moins en moins accessible au lectorat. L’article publié sera donc peu lu et peu cité.
- (pour résumer: publier dans une revue américaine, c’est classe, mais ça trouve vite ses limites)
- Open Science : les publications sont à disposition gratuite du public
Dans quelle langue publier ?
En premier lieu, il faut publier dans la langue du pays où l’on souhaite s’insérer professionnellement, pour se faire connaître et pouvoir être lu de notre communauté disciplinaire. Pour les latino-américanistes, il est important aussi de publier en espagnol/portugais. Les chercheur·euses étatsuniens lisent peu dans d’autres langues, donc publier en anglais assure de s’inscrire dans les réseaux internationaux des sciences sociales (cependant, les revues des USA fonctionnent souvent avec le système auteur-payeur: il peut donc être intéressant de trouver une revue européenne, en Open Science, qui publie aussi en anglais).

Quand et que publier ?
- Un chapitre de thèse : Il ne pose pas de problème qu’un chapitre, ou demi-chapitre, de thèse ait déjà été publié avant la soutenance sous forme d’article. Il ne faut pas cependant que l’ensmeble de la thèse ait déjà été publiée en articles, d’autant que cela empêche par la suite de transformer la thèse en livre.
- Un reliquat de la thèse: Une idée/analyse/source qui est laissée de côté dans la thèse et peut servir de matériel pour un article à part entière
- Un résumé de la thèse : exercice très difficile et qui ne fonctionne pas avec toutes les thèses, mais peut être intéressant. Après la soutenance de thèse, résumer en un article les idées principales et apports de la thèse.
- HS par rapport à la thèse: un autre sujet que la thèse, mais peu conseillé car demande beaucoup trop de travail
Attention au danger de l’auto-plagiat: il n’est pas intéressant de publier plusieurs articles si ils reposent tous sur les mêmes idées. Aucun apport scientifique, et est facilement identifiable à la lecture du CV. S’il est très important (de plus en plus) de publier pendant la thèse, avant la soutenance, il n’est pas pour autant nécessaire d’en publier beaucoup.
La co-publication est très encouragée par le CNRS, puisqu’elle montre que l’on participe à une recherche collective. Attention cependant aux chercheur·euses installés qui profitent des jeunes chercheur·euses, sous apparence de “co-publication”, où vous travaillez seul·es et êtes in fine invisibilisé·es.
Envoyer et retravailler l’article
Chaque revue, en règle générale, présente sur son site les normes éditoriales qu’il faut respecter au moment d’envoyer l’article. Cela peut paraître évident, mais il faut vraiment en tenir compte et s’assurer de les respecter au mieux, d’autant plus si vous souhaitez être publié au plus vite ! C’est parfois ce qui peut faire la différence entre un article refusé directement, ou un article accepté sous conditions de modifications.
Une fois que votre article est recu par la revue, son comité de direction décide de le garder ou non, selon sa qualité, s’il correspond à la ligne éditoriale de la revue ect. Si vous passez cette première étape, votre article est ensuite envoyé à plusieurs relecteur·ices, séléctionné·es en fonction du thème de votre article. Il est de plus en plus difficile de trouver des personnes qui acceptent de relire des articles (ça prend du temps, et ça n’est pas payé !), ce qui explique les délais parfois très long entre votre envoi et la publication finale.

Vous recevez ensuite un retour d’évaluation. Celle-ci vous propose des corrections, des reprises, parfois minoritaires, parfois importantes. Il ne faut pas prendre l’évaluation comme une sanction mais comme une discussion: souvent, les articles les plus retravaillés sont les meilleurs. On peut aussi ne pas être d’accord avec l’évaluation: les revues accepteront la discussion. Il est conseillé lorsque vous envoyer la V2 de l’article de joindre également une note aux relecteur·ices, où vous expliquez comment vous avez pris en compte (ou non) leurs remarques.
Valoriser ses publications
Hallelujah et félicitations, vous êtes publié·es. Le travail ne s’arrête pas là… Il est important aussi de valoriser votre publication. Cela se joue d’abord dans les mots-clés que vous aurez choisi, et qui sont déterminants pour être trouvé·es par le lectorat et ensuite cité·es. Mais il est bienvenu aussi de faire part de sa publication:
- sur HAL-SHS et autres portails, comme academia.eu
- sur les réseaux sociaux
- sur les listes professionnelles (disciplinaire, universitaire ect.)
Penser le temps long de l’édition et valoriser ses actrices et acteurs
Oui, c’est très frustrant d’attendre des mois, parfois des années, entre les débuts d’écriture de l’article et sa naissance sur papier. Mais pour s’assurer de respecter la scientificité de votre publication, c’est nécessaire. D’abord, parce que trouver des relecteur·ices prend du temps, et puis parce qu’il faut ensuite faire les allers-retours entre nouvelles versions et nouvelles corrections. Bref, vous l’avez compris, et peut-être déjà vécu, la publication est un processus complet, qui ne repose pas que sur votre recherche, mais sur beaucoup d’actrices et d’acteurs. Derrière ces sélections de relecteur·ices, ces organisations d’allers-retours, et puis en dernière étape, tout le travail de mise en page, correction orthographique et syntaxique, vérification des sources et de la bibliographie, du non-plagiat ect… il y a les éditrices et éditeurs qui travaillent pour les revues. De plus en plus, leur travail est invisibilisé et dépersonnalisé, parce que les revues utilisent des outils d’organisation de publication automatisés, c’est-à-dire un système automatique où déposez votre article, recevez les corrections, et suivez les avancées du processus de publication. Cette automatisation peut nous faire oublier les éditrices et éditeurs qui sont à l’oeuvre: un travail chargé, qui demande du temps, de l’attention, une formation toujours plus exigeante, et sûrement beaucoup de patience… Ce sont des collègues essentiels pour faire vivre nos recherches et permettre une science sérieuse et vivante (publiée, lue, discutée…) donc pensons aussi à valoriser et respecter leur travail !
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Alice Lhuillier (12 mars 2025). Publier un article en sciences sociales. Piranhas. Consulté le 17 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13gn3